Entre deux mondes, de la soupe au potager.

Terre Adélie, acrylique sur toile, 2014. Mickito

Terre Adélie, acrylique sur toile, 2014. Mickito

Je reviens de loin, non pas en voyage physique mais au fond de moi-même, une conversation ce soir m’a fait replonger dans ce bain des souvenirs polaires.  Un bain non point glacé mais chaleureux et qui toujours, véhicule un rapport particulier avec mes amis hivernants ainsi qu’une relation inaltérable avec le « milieu » polaire incarnée par cette baie si sereine de Pointe-Géologie qui a partagé ma vie durant un an.

Pourquoi ce soir plus qu’un autre? Il n’est point besoin d’une conversation pour me rappeler aux bons souvenirs, ce soir n’est sans doute point plus qu’un autre si ce n’est qu’il me permet d’écrire un nouvel article, qui ne va point transformer le monde par son contenu, mais qui est comme un cap à passer pour rebondir sur le fil du temps, sur le fil qui se déroule en touchant sa trame du doigt sans voir ni comprendre où il m’emmène.

Il n’ y a point de dessein mais un choix et puisque la liberté n’est pas qu’une idée, il faut parfois la toucher pour envisager une autre lecture.

Je suis encore entre deux mondes, celui d’avant et celui d’après, ma vie personnelle étant encore soumise à des aléas divers qu’il me faut résoudre et qui freinent le chemin de l’après. Le futur n’existe pas car il est futur donc non présent mais le présent englobant passé et futur, passé et futur coexistent avec ce présent; c’est ce qu’on appelle l’intégration. Passé et futur seraient-ils une transcendance du présent? Ou le présent serait-il une transcendance du passé et du futur?

Qu’est ce qui est réel? ce qui entoure ou ce qui est contenu, ou l’un ne peut-il exister sans l’autre?

Cette dernière hypothèse est probablement la plus proche de la vérité si tant est que nous pouvons en comprendre quelque chose.

« Tout est dans tout » rejoint l’assertion « tout est relatif » ce qui me permet de rebondir sur le sujet.

Ce soir, je rebondis dans l’avenir, un avenir lointain, celui qui me permettra d’écrire, enfin, tout ce qui est en attente, de relier en un même volume tout ce que j’ai pu disséminer dans les innombrables emails échangés depuis 4 ans. Auparavant, j’écrivais seul, dans un cahier, l’ère des échanges rapides d’internet m’a permis de converser, de manière parfois si étroite que j’en suis venu à exprimer des idées nouvelles, à comprendre et mettre en mots ce qui était en mélange, non pas incompris mais non révélé en moi. Une soupe contient de nombreux légumes qu’il est difficile parfois de déceler individuellement si elle a été mixée finement, la conscience est telle une soupe qui ferait jaillir les ingrédients à l’esprit comme s’ils étaient encore brut sortis de terre.

L’écriture permet de révéler les ingrédients de l’esprit, je dois être en possession de centaines de pages, qui presque chacune peut générer des dizaines de développements, ce qui suppose que cette activité pourrait probablement combler une vie d’un siècle. Or je n’ai point que cela en attente et si ce soir l’écriture renoue avec ce fil qui chemine entre passé et futur, bien d’autres émergences sont dans ma soupe!

 

Il me faut souvent être serein ou dans une sorte de paroxysme existentiel: autrement dit, j’engrange la soupe, des soupes qui se mélangent entre elles au point qu’il m’est parfois difficile de savoir si c’est vraiment de la soupe ou du pain perdu…mais à la faveur d’une relation de coeur, de vérité, je puis parfois découvrir les légumes, c’est ainsi que soumis à une échéance certaine, il m’a fallut cultiver mes légumes à partir de ma soupe latente. Trois ans que je devais faire une peinture pour Arnaud; je devais? Je me devais, puisque c’est aussi une manière d’entrer en relation et surtout d’exprimer ce qui manque parfois au langage des mots ou de la parole, puisque la pudeur ou la gaucherie amènent à raconter une autre histoire que celle que l’on ressent intimement. On peut appeler cela inaptitude. Pas forcément car le sens de cette peinture a déjà été dite à l’intéressé, bien avant qu’elle prenne forme, le sens de l’amitié n’est point un leurre sous forme d’une soupe de couleurs empâtée sur une toile, mais c’est une relation, vivante, sans qu’il ait apparence relationnelle, obligations relationnelles. Le sens est là et comme l’être humain adore son fétichisme, à savoir sacraliser les objets qu’il crée, je n’échappe point à cette expression culturelle, que d’aucun dirait qu’elle est « humaine » ou « divine », ce qui est semble-t-il similaire (pour l’identique… ce sera écrit ailleurs), à savoir « la création d’une oeuvre ». Oeuvre tient de ouvrage, opération ou résultat d’un travail. Donc ce serait un travail de chef, d’en haut, comme le couvre-chef (couvre l’en-haut) car c’est bien de cela qu’il s’agit. Ainsi le peintre n’y est pour rien car lorsqu’il se libère, lorsqu’il se relie à sa propre liberté, il ne s’enchaine pas justement mais s’ajuste à la connaissance d’en-haut, qui n’est point usurpée par l’idée mais bien par la vérité de l’être.

 

Lorsque cela arrive alors certes la technique est utile à la qualité mais une qualité d’ouvrier sans coeur ne fait qu’un travail de photocopie de la pensée. L’artiste apporte ce que l’on appelle le coeur ou le soi et c’est uniquement dans ce cadre (infini) qu’il peut prétendre à la désignation d’artiste, ce n’est pas la qualité esthétique de l’oeuvre qui désigne l’artiste contrairement à ce qu’on tente de véhiculer les milieux autorisés comme disait l’ami Coluche, mais bien ce que l’artiste met dans son travail, ce qui s’exprime durant son travail, ce qui est justement au-delà du travail, donc qui n’est point du travail.

L’artiste travaille en apparence, il sue, se fatigue, il est sous tension parfois mais son véritable travail est dans ce qu’il transmet pendant son travail, ce qui vient « de loin » mais qui est juste là, en lui et qui parfois n’est pas connu de lui. L’artiste peut avoir un moment d’oubli durant son travail de création, il s’échine mais n’a pas conscience de ce qu’il est en train de transmettre, il véhicule une force, un lien qu’il ne voit pas forcément mais parfois oui bien entendu! Ainsi, lorsque l’oubli permet d’aller au centre afin d’entrer en relation, l’artiste est au présent et il ressent le futur, ce qui permettra d’échanger avec ceux qui traverseront cette oeuvre.

Ma dernière peinture s’est faite ainsi et elle m’a donné d’autant plus envie, soif de peindre, que c’est ainsi que je ressens ce travail, cette création qui n’est point expression de moi mais de ce soi. Il ne faut jamais vénérer un peintre, je parle bien sûr de tous et sans équivoque ceux qui nous fascinent: Picasso, De Vinci, Renoir, Dali,Van Eycke et tant d’autres, oui, si exceptionnelles que sont leurs oeuvres, ils ne peuvent recevoir les éloges en tant que tel car ils ont peint avec leur coeur, leur « soi-même » et malgré l’égo exposé par lui-même de Salvador Dali, il avait compris et ne montrait en apparence que ce que les autres attendaient. Il jouait avec « le monde ». Le coeur du peintre est la seule chose qui mérite grâce, on ne doit pas aduler le peintre, car si on le fait on se trompe de chemin_malgré le fait que la société valorise cet aspect_ ni ses connaissances techniques ou sa perfection créatrice mais uniquement la relation de soi qu’il met dans son oeuvre car c’est l’essentiel à comprendre et à justifier l’Art. C’est le Soi, base de la connaissance, expression de l’univers qui est la seule vérité à la créativité. Ce soi n’est point le « moi », apparent, que véhicule l’égo mais bien le coeur de l’Homme, énergie de vie, universelle et transcendante, inaccessible par la pensée (elle ne fait qu’approcher) mais que chacun peut ressentir dans ce qu’il nomme l’humanité, le cosmos, la transcendance, la relation sacrée, ou le divin. Là ou les mots n’ont plus qu’un pâle sens, la conscience ouvre à la lumière de la connaissance vraie.

 

Un travail technique peut être intéressant pour le peintre, le résultat peut être étonnant, mais l’essentiel est ailleurs, il est dans l’ « étant » du peintre même si le résultat esthétique ou psychologique est décevant, pour lui ou pour autrui.

J’ai rencontré un peintre amateur à Ganges, une femme tourmentée sans doute par son passé mais qui montrait de la joie, de la fierté, du coeur comme rarement malgré que ses oeuvres fussent presque affreusement laides, médiocres techniquement, difficiles à lire et à comprendre, repoussantes ou dérangeantes. Quand elle expliquait ses paysages (puisque c’était du figuratif!), tout aussi tourmentés que son visage et son corps qui bien qu’apparemment âgés ne devaient point l’être en réalité. Ceux-là étaient à la limite du gribouillage d’enfant de deux ans mais elle vivait son oeuvre, elle respirait la vie et ses toiles devenaient alors intéressantes, il ne fallait pas s’attacher à l’esthétique mais à la beauté du coeur que la peinture exprimait. Le passé de cette personne devait l’empêcher d’accéder à un graphisme épuré, harmonieux et précis. Il lui était impossible de poser de jolies couleurs, de celles qui font chavirer de bien-être tout être en équilibre avec ses sens, en relation de bien-être avec l’ensemble de son être et pourtant, ses mains si elles ne pouvaient poser de beaux bleus ou un soleil d’or, son âme criait haut et fort la beauté de son être dans la relation qu’elle avait transmise à ses oeuvres. Tout était marron, brouillé, presque merdique mais tout était là, magnifique à qui pouvait le voir. A présent je comprends d’autant plus la rareté de ses peintures, si repoussantes soient-elles pour l’esthétisme auquel nous sommes sensibles mais si riches de sens, d’essence.

Des années après, je comprends cette essence, je l’exprime en moi, en mots, je remercie cette personne dont je n’ai pas le nom, qui restera sans doute à jamais ignorée des critiques et même de l’art tout court mais qui a exprimé si magnifiquement l’essentiel de ce qu’il faut savoir, l’essence de l’être.

Le célèbre proverbe chinois dit:  » quand le sage montre la lune, l’idiot regarde le doigt » prend ici toute sa mesure; si j’ai discuté avec elle longuement, si je me suis intéressé à ses oeuvres au-delà des quelques secondes que la plupart des visiteurs doivent faire, c’est que je ressentais quelque chose qui m’interpellait, c’est peut-être finalement le peintre qui m’a le plus appris, car elle avait tout compris ce qu’il faut faire, puisqu’il ne faut pas faire une oeuvre ou simplement une peinture…mais être, être peintre. Consciente alors ou pas de cette propre qualité d’elle-même, je ne sais pas, mais bien essentielle à mes yeux. Quatre ans plus tard, je décèle enfin le message de cette heure ou plus, jadis, passée à tenter de comprendre les peintures de cette personne et c’est ce soir, au cours de cette écriture, que j’en prends conscience, pleinement. La soupe a engendré le potager car ce potager c’est la vie qui s’exprime. C’est en sachant lire la soupe qu’il est heureux d’en découvrir les fleurs et les fruits.

J’ai donc regardé le doigt au lieu de voir la lune juste après être entré dans cette exposition il y a 4 ans, et seul mon ressenti du peintre, de cette personne, m’a permis d’aller au-delà de ce voile; je savais cependant sans comprendre, sans pouvoir exprimer ce qui était dans mon inconscient; je me suis intéressé à elle car il y avait une voix en moi qui me poussait à entrer en relation avec elle. Ce soir je le ressens si vivement que je me dis que c’est une artiste certainement aussi importante que pût l’être Van Gogh ou Kandinsky.